Pas simple, quand on est un acteur mondial avec 38 000 collaborateurs, comme le spécialiste des équipements électriques Legrand, d’avoir une vision globale de ses RH.
Le besoin
Historiquement, le groupe français (8,4 milliards de CA) est présent dans 90 pays, mais avec des entités relativement autonomes.
« Chaque pays possède son propre outillage RH et ses propres façons de faire », confie Mélodie Ribeiro Le Lendu, responsable SIRH du groupe, arrivée il y a deux ans en provenance de LVMH. « Nous rencontrions des difficultés pour avoir un reporting sur la donnée collaborateur [globale]. Le reporting trimestriel était aussi pénible à produire. Sans parler du reporting annuel ».
« Nous rencontrions des difficultés pour avoir un reporting sur la donnée collaborateur. Le reporting trimestriel était aussi pénible à produire. Sans parler du reporting annuel ». Mélodie Ribeiro Le LenduResponsable SIRH, groupe Legrand
« Nous nous sommes posé beaucoup de questions », se souvient la responsable. « Avions-nous juste besoin d’un outil de reporting ? Et dans ce cas, il suffisait de faire un hub qui reçoit les données des pays. Ou avions-nous l’ambition d’aller plus loin et de fournir une expérience collaborateur unifiée à travers le groupe, de permettre aux managers cross-country d’avoir une vue complète sur leurs équipes, quel que soit le pays de l’équipe, pour mieux les gérer ? » (cf. ci-après « Périmètre du projet ».)
Poser la question, c’était, évidemment, y répondre. D’autant que l’outillage IT des RH, déployé il y a 10 ans, était vieillissant (un Cegid TALENT), et ne répondait plus aux enjeux « modernes ».
Le choix
Legrand envisage alors trois solutions phares du marché du SIRH. Toutes en cloud. SAP (SuccessFactors), Workday, et Oracle (Fusion).
L’industriel choisit la troisième en raison, avance Mélodie Ribeiro Le Lendu, de son « expérience collaborateur » (navigation) jugée plus simple et plus intuitive, et de sa plus grande flexibilité (personnalisation), comparées aux deux autres HCM.
Legrand ne cherchait cependant pas une personnalisation totale de tous les process – contraire de toute manière à la philosophie SaaS (cloud) –, mais la possibilité, tout en restant dans les standards de l’éditeur, d’adapter certains processus RH comme l’onboarding par exemple.
« Que l’on arrive chez Legrand, en région parisienne ou à Limoges, en France ou à l’étranger, on n’a pas le même type d’onboarding », illustre Mélodie Ribeiro Le Lendu. « Il faut pouvoir customiser des process qui sont vraiment “en face” de l’utilisateur, pour être plus proche de leurs besoins ».
Périmètre du projet RH
À noter que la paie, les absences et la gestion des temps ne sont pas dans le périmètre du projet (comme la gestion des congés en self-service). Ils devraient, pour des raisons pragmatiques de contextes réglementaires, rester en local. « En tout cas pour démarrer », nuance la responsable. « Cela ne veut pas dire qu’on ne le fera pas un jour, mais au départ ce n’est pas l’objectif ».
Le nouvel outil SIRH centralisé vise en revanche à inciter les collaborateurs à se connecter pour consulter l’organigramme, « avec un annuaire d’entreprise qui leur permettra de savoir avec qui ils correspondent » ou pour « faire leur entretien annuel dans l’outil, avec la possibilité d’y saisir des objectifs, annuels, mais aussi “on the go” ».
L’unification devrait également permettre, sur la partie recrutement interne et externe, d’accéder à toutes les offres d’emploi ouvertes dans le groupe. Aujourd’hui, Legrand possède des pages « carrières » localisées, pays par pays. « Cela devrait nous permettre de recruter plus facilement », anticipe la responsable.
Pour les managers, un autre bénéfice est aussi recherché : celui d’avoir une vue sur toute leur équipe et de pouvoir participer aux campagnes de revue des salaires.
« Aujourd’hui, un manager en Italie, mais qui manage des gens en France, en Italie et en Suisse, par exemple, est obligé d’utiliser trois outils, voire trois templates de fichiers Excel différents, ce qui rend les choses compliquées », constate la responsable. « Et cela ne donne pas une vue d’ensemble. Demain, [le SIRH] permettra vraiment aux managers d’être acteurs et de voir l’intégralité de leur équipe. Et [le cas échéant] de rapidement voir des différences de salaire entre équipes ».
Vers un « skill-based » Legrand
Le projet n’en est qu’à ses débuts (le kick off a été fait en octobre 2023). D’autres fonctionnalités devraient intégrer son champ d’action. En premier lieu, les retours collaborateurs.
« Nous n’avons pas encore cette culture de feed-back de façon digitalisée », concède Mélodie Ribeiro Le Lendu. L’outil devra donc aussi être un vecteur pour élargir ces remontées d’informations au-delà des seuls échanges entre « pairs ».
La partie formation (e-learning) et Learning Management System (LMS) pour la France est aussi en réflexion. Tout comme la gestion de talent (Talent Management) et la revue de compétences (skills).
« Nous sommes en train de travailler sur le process design. Le modèle de compétences en fait partie », confie Mélodie Ribeiro Le Lendu. « C’est une ambition qui s’inscrit sur la durée. On ne devient pas une skills-based company rapidement ». Mais l’idée est bien là : lister et gérer de manière plus fine les compétences pour, ensuite, les utiliser en Talent Management.
Le but est double : aider les collaborateurs à comprendre quelles évolutions sont possibles pour eux dans le groupe, et en sens inverse, permettre à Legrand de trouver les compétences dont le groupe peut avoir besoin, là où elles se trouvent. « Nous sommes présents partout dans le monde. Potentiellement, la compétence que nous n’avons pas en France, nous pourrions la faire venir de Belgique ou d’Inde », imagine déjà la responsable.
Legrand le fera-t-il ? « C’est le but ultime [d’utiliser l’IA pour la gestion des compétences], mais nous n’aurons pas assez de données dans un premier temps », tempère la responsable RH qui l’envisage tout de même à un horizon plus lointain.
« Nous voulons que nos collaborateurs puissent se projeter. Là, il y aura un outil, qui ne remplacera pas la RH, mais qui ouvrira les perspectives. » Mélodie Ribeiro Le LenduResponsable SIRH, groupe Legrand
« Nous voulons que nos collaborateurs puissent se projeter », justifie-t-elle. « Là, il y aura un outil, qui ne remplacera pas la RH, mais qui ouvrira les perspectives, par exemple en disant qu’il y a un job aux achats…, alors que moi, qui viens du SIRH, je n’aurais jamais pensé aller aux achats, alors que mes compétences et mon profil collent ».
Plus proche, Mélodie Ribeiro Le Lendu envisage l’IA dans d’autres cas. Comme la description de poste par l’IA générative. « C’est un gain de temps incroyable. Je pense que dès l’ouverture du module recrutement – prévue pour 2025 [dans Oracle HCM] –, on ne pourra pas s’en passer ».
Plus largement, Legrand se pose la question de ce que l’IA pourra apporter à chacun de ses métiers. « Sur ce qui avait été envisagé pour les RH, il y aura beaucoup de use cases qui seront déjà fournies dans Oracle », se réjouit Mélodie Ribeiro Le Lendu. Le nouveau SIRH sera donc un facilitateur d’autant plus que les fonctionnalités d’IA « sont incluses gratuitement [et] activables de façon individuelle », vante Sylvain Letourmy.
Legrand pourrait donc rapidement utiliser l’IA pour proposer des commentaires aux managers. L’IA ira « reprendre tout ce qui a été fait par le collaborateur, comme les feed-back, et proposer au manager un commentaire », entrevoit Mélodie Ribeiro Le Lendu. Qui insiste immédiatement : l’idée n’est pas que le manager génère le commentaire et le soumette, sans le lire. « [L’IA] ne fera pas le travail à leur place. Mais elle pourrait les aider, en leur suggérant quoi mettre dans l’entretien pour éviter le syndrome de la page blanche. »
Méthodologie pour remettre à plat ses RH
Le projet de refonte du SIRH de Legrand a débuté en octobre 2023 avec une phase « d’alignement des process RH ».
« Nous n’allions pas essayer de reprendre l’existant. On s’est posé vraiment la question de savoir ce que l’on avait envie de faire demain, et pas de ce qu’on fait aujourd’hui ». Mélodie Ribeiro Le LenduResponsable SIRH, groupe Legrand
« Nous avons mis autour de la table nos six gros pays [N.D.R. : France, Italie, Chine, Inde, États-Unis et Brésil] pour nous mettre d’accord sur tous les process [qui seront gérés dans le SIRH]. », confie Mélodie Ribeiro Le Lendu. « Par exemple : qu’allait être le process de revue des talents ? Que veut-on suivre et leverager ? »
L’idée était, en quelque sorte, de tout remettre à plat. « Nous n’allions pas essayer de reprendre l’existant. On s’est posé vraiment la question de savoir ce que l’on avait envie de faire demain, et pas de ce qu’on fait aujourd’hui ».
Cette phase d’alignement se finalise ce mois-ci (mars 2024). En parallèle, Legrand a débuté l’implémentation de l’outil pour récupérer les besoins techniques et pouvoir le paramétrer.
Côté humain, le risque, en centralisant les RH sur un outil, était de braquer des entités jusqu’ici assez libres. Un risque anticipé aussi dans la méthodologie du projet.
« Il y aura moins de liberté, c’est vrai », admet la responsable française. « C’est là où on se confronte à des enjeux d’adoption de la part de ces pays qui étaient jusqu’ici très autonomes, mais on a su les embarquer dès le début, dès l’appel d’offres. Et même avant ».
Reste qu’il y aura besoin de mener une vraie conduite du changement « Mais encore une fois, les interlocuteurs RH qu’on a en face de nous savent que c’est la chose à faire », insiste Mélodie Ribeiro Le Lendu.
Ils savent et ils l’acceptent aussi parce qu’ils ont été impliqués. « Je pense aussi qu’on a fait les choses dans le bon ordre », ajoute la responsable. « On a onboardé nos pays pour faire un constat, puis pour définir ensemble l’ambition, puis pour travailler sur un SIRH commun, avant de demander la validation pour lancer le projet, pour lancer un RFP, puis faire choix de l’outil – un choix qui a été fait par le groupe et par ces six géographies – puis le choix des prestataires, et enfin le kick off avec nos partenaires (Oracle, Accenture) ». Inclure ces partenaires dans le kick off aurait d’ailleurs créé du lien qui aujourd’hui facilite les échanges et la cohérence du projet.
Le « go-live » est à présent prévu pour novembre 2024. Soit un an après le lancement du projet. Ce qui permettrait « de faire les entretiens annuels en fin d’année dans Oracle », se réjouit Mélodie Ribeiro Le Lendu en anticipant un beau cadeau de Noël pour les RH de Legrand.